Quels liens entre le « paysan » et son milieu de vie ?

Le terme « paysan », créé au Moyen-âge, en 1140 sous une forme primitive « païsant » désigne celui qui habite la campagne et cultive la terre du « païs » ou contrée, région, habiter étant entendu dans le sens plein de « vivre » et pas seulement remplir, occuper un lieu. Un rapport au lieu, à la base existentielle que les termes d’ « agriculteur », créé beaucoup plus tard, en 1495 (celui qui cultive les champs) puis « exploitant agricole » (celui qui exploite la terre) ne permettent pas de retrouver.

Ces dénominations-ci mettent l’accent sur un rapport de gestionnaire et d’exploitant des ressources de la terre et, à partir de l’industrialisation, du recours aux techniques industrielles et les pesticides, intrants chimiques.  C’est d’ailleurs en réaction à cette forme d’agriculture que s’est créé le syntagme c’est-à-dire le groupe de mots « agriculture biologique » (Rey, 2016 : article « agriculteur »). Différents mouvements sur la planète consistent en la réémergence des paysans, mais à contre-courant, initiés par la « base » comme l’on dit, non par les Etats. Tous, à leur façon, souhaitent designer des techniques, outils, pour vivre et produire avec le vivant, en accord avec la biosphère. Des paysans qui veulent intégrer le paysage social, culturel, en fondant une économie à la mesure de l’éco-, l’oikos en grec, la Terre/terre qui nous accueille en tant que biosphère et sol qui nous porte et nous nourrit.

Le métier de paysan aujourd’hui n’est pas celui de l’exploitant agricole ; il ne s’agit pas d’exploiter les ressources collectives et privées mais de dessiner la coopération entre les biens privés, les biens communs, de connaître scientifiquement et avec sensibilité la vie du sol, les interactions entre la faune et la flore, le rôle des tiers paysages, des haies, des arbres. Le paysan doit savoir éduquer, sensibiliser, convaincre, changer du dedans le système pour en faire un milieu social, économique, écologique créatif favorable à tous et à chacun.

Nicole PIGNIER, Le Design et le Vivant. Cultures, agricultures et milieux paysagers. Edts Connaissances et Savoirs, 2017.