© Canalsup - Université de Limoges - 2018
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Une nature à redéfinir
Nombreux sont les scientifiques qui ont décrété que l’axe sémantique universel Nature/Culture n’est plus pertinent, tout étant devenu hybride (Bruno Latour, Philippe Descola pour ne citer que les plus célèbres). Mais ne s’agit- il pas là d’un coup de force qui nie ce qui pourtant est une matrice organisatrice de la perception, cette tension entre les gestes des activités humaines (culture) et la nature qui comprend le vivant, la biosphère et le cosmos ?
Il est vrai que les occidentaux ont inventé la notion de nature en tant qu’objet à dominer, catégoriser, mais ils ont aussi, à l’époque des pré-socratiques, nommé une nature en tant que processus complexe de transformation créative, de puissance d’auto-réalisation ; le terme de phusis en grec désigne en effet l’étant mais aussi le changement et le mouvement. Cette appréhension de la nature en tant que processus est aussi présente, à peu près à la même époque, dans le terme chinois « Ziran » relevant plutôt de la veine taoïste et signifiant le cours naturel des choses, le fait d’ « être ainsi par soi-même ». Elle s’exprime encore dans le caractère « tian », plutôt issu de la veine confucianiste, signifiant « jour » et servant à composer les mots qui désignent les saisons, le temps qu’il fait, le ciel et les éléments liés au champ sémantique de l’univers tels que « corps céleste », « astronomie».
Augustin Berque explique que le japonais a emprunté au chinois le mot même de nature qui « permet d'appréhender ensemble des phénomènes et des réalités qui a priori n'ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres (les étoiles, la pluie, les animaux, les montagnes, la végétation ...) » (Berque, 2001). Dans la culture japonaise, la nature est un sujet avec lequel on vit en harmonie :
« Cette harmonie s'oppose à l'idée de domination de l'homme sur la nature (présente dans la culture occidentale) comme à celle de soumission de l'homme devant la nature (présente, semble-t-il, dans la culture indienne). La culture japonaise a reconnu la nature comme sujet » (Berque, 2001).
Nous proposons d’appréhender la nature non comme objet inanimé à maîtriser mais comme devenir, processus. Que ce dernier relève du vivant (êtres humains, végétaux, animaux), des éléments (la terre, l’air, l’eau, le feu, le minéral) ou de l’univers, du cosmos (les astres, les planètes, …).
Mais pourquoi parler de « nature » alors que l’on est dedans, que l’on en fait partie ?
Les êtres humains, en tant qu’êtres vivants, font partie de la nature mais leurs capacités techno-symboliques laissent parfois croire que l’on peut s’en abstraire. Ce « pôle » met ainsi en exergue l’altérité du vivant et du cosmos dont l’humain émane, une altérité non prévisible, non programmable, qui a donné aux communautés humaines le sentiment d’exister. Le verbe ex-sistere désigne ce mouvement qui nous conduit hors de notre individualité, vers autrui, vers notre milieu dont la base est la terre/Terre en tant que dynamique qui nous dépasse, qui nous traverse et qui peut advenir sans nous.
Nicole PIGNIER, Le Design et le Vivant. Cultures, agricultures et milieux paysagers. Edts Connaissances et Savoirs, 2017.
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