© Canalsup - Université de Limoges - 2018
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Designer le vivant ?
Les biotechnologies en général ne sont pas de véritables innovations puisqu'elles consistent à "designer" le vivant, à créer du lien transitif, donc un sujet qui domine : le sujet scientifique. L'être humain illusoirement domine et souhaite façonner à l'envi le vivant. Mais le vivant se rebelle, parce que ce n'est pas quelque chose que l'on peut façonner à sa guise. On peut faire avec, s'ajuster mais pas le dominer. Ainsi les biotechnologies sont de fausses innovations parce qu'elles coupent ce lien concret et existentiel au vivant ainsi qu'au milieu.
Designer le vivant n’est-il pas contre nature, contre le processus complexe d’engendrement du vivant qui se fonde sur ce que le biologiste Kinji Imanishi et Augustin Berque appellent un « mouvement de subjectité » :
« Nous devrions sans doute, au 21ème siècle, dégager méthodiquement la voie d’une bioherméneutique, fondée sur la biosémiotique et l’éthologie, pour entériner rationnellement le fait que tout le vivant, à quelque niveau ontologique que ce soit, est doué d’un certain être -soi - qu’il est donc doué de subjectité à son propre niveau, comme nous le sommes nous-mêmes au niveau qui nous est propre (celui du cogito, en particulier) ; et que par conséquent, tous ces divers degrés de subjectité sont capables intrinsèquement de motiver des raisons d’agir, pas seulement de fonctionner selon une mécanique aveugle (hormis le seul cogito) ». (Berque, dans Imanishi, 2015 : 186).
En somme, designer le vivant, c’est oublier que les êtres vivants coénoncent dans un milieu donné ; ils manifestent quelque chose d’eux-mêmes aux autres et évoluent dans cette interrelation créative, jamais de façon répétitive et identique. Les êtres vivants, selon leurs aptitudes diverses, avec cerveau ou sans, avec des capacités symboliques plus ou moins développées, travaillent la Terre en manifestant quelque chose du lien de sens à leur milieu, ce quelque chose advenant, émergeant au fur et à mesure que le milieu manifeste quelque chose lui aussi.
Nicole PIGNIER, Le Design et le Vivant. Cultures, agricultures et milieux paysagers. Edts Connaissances et Savoirs, 2017.
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